Définition et présentation du rejet de comptabilité
Le rejet de comptabilité est la faculté de l’Administration fiscale, à l’issue d’une vérification de comptabilité, de substituer les résultats d’une entreprise. Et ce, par de nouvelles bases, qu’elle aura préalablement déterminées. Ces nouvelles bases servant alors au calcul des impôts commerciaux tels que l’IS, l’IRPP et la TVA. Ce rejet de comptabilité s’inscrit obligatoirement dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire.
Par ce procédé de rejet de comptabilité, l’Administration fiscale dénie toute valeur probante à la comptabilité d’une entreprise, comptabilité établie par le professionnel de l’expertise comptable, sur la base des informations et documents transmis par son client.
Ainsi, la comptabilité détient un double objectif. Une valeur légale pour se conformer aux dispositions du code de commerce et une valeur fiscale pour satisfaire les attentes de l’Administration fiscale. La valeur probante d’une comptabilité est définie par deux critères : la régularité et la sincérité. La régularité se traduit par l’exercice d’une pratique conforme aux règles et procédures en vigueur. Notamment au regard des principes et des méthodes comptables retenus. La sincérité quant à elle résulte de l’évaluation correcte des valeurs comptables. Elle résulte aussi d’une appréciation raisonnable des risques et des dépréciations de la part des dirigeants.
Il découle de ces obligations que les personnes astreintes aux obligations du Code de commerce doivent nécessairement tenir un certain nombre de livres comptables. Elles doivent aussi appuyer leurs écritures de pièces justificatives et présenter des résultats qui se fondent sur des principes comptables, dont le respect est l’un des éléments de la sincérité des comptes.
La reconstitution des recettes ne peut s’opérer qu’une fois que le vérificateur a prononcé un rejet de comptabilité et par conséquent juge la comptabilité comme dépourvue de valeur probante. La prévention joue donc un rôle essentiel. L’expert-comptable doit, en amont, au début de sa mission de présentation des comptes annuels, conseiller son client sur les procédures qu’il estime nécessaires de mettre en place pour minimiser le risque de rejet de comptabilité chez ce dernier. Il devra également vérifier, en cours de mission, que ces procédures sont toujours en vigueur au sein de l’entreprise. Ces diligences entrent dans le cadre de son devoir de conseil et éviteront toute mise en cause de sa responsabilité sur le plan civil.
L’administration fiscale se réserve, cependant, le droit d’entamer une procédure de vérification de comptabilité chez n’importe quel contribuable. L’expert-comptable doit donc posséder les connaissances techniques nécessaires qui lui permettront d’assister au mieux son client dans ses échanges avec l’Administration et de veiller au bon respect des garanties dont il doit bénéficier au cours de cette procédure.
Cette assistance se réalise dans le cadre d’une mission complémentaire à la mission de présentation des comptes annuels. Une lettre de mission spécifique est donc nécessaire.
Valeur probante de la comptabilité : critère de régularité
Les prescriptions provenant du Code de commerce
L’article L 123-12 énonce que les personnes morales ayant la qualité de commerçant doivent :
- Procéder chronologiquement à l’enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de leurs entreprises
- Contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l’existence et la valeur des éléments d’ actifs et passifs du patrimoine de l’entreprise
- Établir des comptes annuels à la clôture de l’exercice au vu des enregistrements comptables et de l’inventaire, qui comprennent un bilan, un compte de résultat et une annexe
Ces règles s’appliquent également aux personnes physiques ayant la qualité de commerçant.
Les obligations comptables des comptabilités informatisées
Les principes régissant les écritures comptables
Principe du caractère intangible ou de l’irréversibilité des écritures
L’obligation d’inaltération s’applique aux comptabilités informatisées par une procédure de validation en trois phases qui interdit toute modification ou suppression :
- La saisie est en mode brouillard jusqu’a la validation comptable des écritures. Ces dernières peuvent être modifiées. Les éditions qui en découlent constituent de simples listes de contrôle
- La validation comptable. Le logiciel doit figer les écritures et empêcher toute modification ultérieure
- Le livre-journal d’une comptabilité informatisée ne présente un caractère régulier, sincère et probant qu’après validation. Les logiciels qui permettent la suppression d’une écriture validée ou sa modification sont prohibés
Principe de procédure de clôture périodique des enregistrements chronologiques
La procédure de clôture destinée à figer la chronologie et à garantir l’intangibilité des enregistrements est mise en oeuvre au plus tard avant l’expiration de la période suivante.
Avant la clôture de l’exercice, le logiciel devrait rappeler les obligations de validation de l’ensemble des écritures enregistrées. Apres la clôture, il doit permettre la consultation des écritures, l’édition ou la réédition des états comptables. En tout état de cause, la réouverture d’un exercice clôturé à des fins de modification ou de suppression des écritures comptables est interdite.
Principe de la permanence du chemin de révision
Les comptabilités informatisées doivent permettre de reconstituer à partir des pièces justificatives appuyant les données entrées, les éléments des comptes, états et renseignements, soumis à vérification, ou à partir de ces comptes, états et renseignements, de retrouver ces données et les pièces justificatives.
Le non-respect de ces obligations peut conduire à l’irrégularité ou au caractère non probant de la comptabilité.
Le périmètre de contrôle de la comptabilité informatisée
Est soumis à contrôle, l’ensemble des applications dont les informations, données, et traitements concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables et à l’élaboration des déclarations obligatoires. En pratique cela revient à inclure tous les domaines informatisés de l’entreprise.
Le périmètre de contrôle couvre les trois principales composantes d’un système informatisé : les données élémentaires, les traitements et la documentation.
Les données élémentaires : de quoi est-il question ?
Les résultats produits par le système informatisé doivent être justifiés par les données élémentaires ayant servi à leur élaboration, prises en compte dès l’origine, et non par des données agrégées résultant de traitements automatisés. On distinguera les données immatérielles, traitées par l’informatique, qui concourent directement (domaine comptable) et indirectement (domaine de gestion) à la constitution d’une écriture comptable. Ou encore, à la justification d’un évènement ou d’une situation transcrite dans les livres, registres, documents, pièces et déclarations contrôlés par l’administration.
Le domaine comptable comprend notamment les données suivantes contenues dans le logiciel de comptabilité générale : plan comptable, table des taux de TVA, fichier des écritures comptables.
Le domaine de gestion inclut les données comprises dans les différents logiciels de gestion de l’entreprise.
En revanche, sont exclues, les données relatives au fonctionnement de l’entreprise, sans lien direct avec la comptabilité de l’entreprise ou les déclarations obligatoires.
Les traitements : de quoi s’agit-il concrètement ?
Il s’agit des opérations réalisées par des moyens automatiques permettant l’exploitation des données élémentaires et notamment leur collecte, saisie, enregistrement, modification, classement, tri, conservation, destruction et édition.
La reconstitution du chemin de révision peut nécessiter que l’administration doive accéder aux versions archivées des programmes.
Le double objectif de la documentation : les détails
La documentation est un élément clé de la valeur probante d’une comptabilité informatisée et doit poursuivre deux objectifs :
L’objectif informatique de la documentation
La documentation doit permettre au vérificateur de connaitre et de comprendre le système d’ information mis en oeuvre au cours de la période soumise au contrôle. Elle inclut toujours la description générale de l’ensemble des systèmes d’informations, l’inventaire et la description des matériels et logiciels utilisés, le plan d’archivage et les durées de rétention, la description des données et de leur structure.Pour les logiciels standards, la documentation utilisateur, fournit avec le logiciel, doit être conservée mais ne suffit pas. L’administration peut demander un accès aux codes sources. Le code source d’ un logiciel correspond à la suite d’instructions que doit suivre le microprocesseur pour permettre d’afficher et d’utiliser ce programme informatique. L’accès au code source permet de vérifier si le programme n’ autorise pas des opérations illicites. L’entité contrôlée doit donc prévoir les modalités d’accès de l’administration à l’intégralité de sources documentaires, notamment par la rédaction de clauses contractuelles avec les prestataires extérieurs ou le dépôt des codes sources des programmes auprès de tiers habilités comme par exemple les organismes assurant la protection des programmes.Pour les logiciels spécifiques, une documentation complémentaire est nécessaire en cas de paramétrages particuliers lies aux besoins de l’entreprise.
Le second but de la documentation : un objectif fiscal
La documentation doit décrire de façon précise et explicite, les règles de gestion des données et des fichiers mises en oeuvre dans les programmes informatiques, qui ont des incidences directes ou indirect et sur la formation des résultats comptables et fiscaux et des déclarations fiscales.
Les obligations fiscales des comptabilités informatisées
L’obligation fiscale de conservation : les explications
Le délai général de conservation est de 6 ans. Les documents comptables obligatoires, les pièces justificatives établies sur support informatique et les traitements, données élémentaires et documentation doivent être conservés sur support informatique pendant au moins 3 ans. Selon l’article. L. 102 B du LPF.
À l’issue de ce délai de 3 ans, et jusqu’à l’expiration du délai général de 6 ans, les documents sont conservés sur tout support au choix du contribuable. Le non respect de cette obligation expose l’entreprise à un rejet de comptabilité.
L’obligation fiscale de présentation de l’Article 54 du CGI
L’administration fiscale dispose d’un droit d’accès, qui se traduit, pour les entreprises, par une obligation de présentation des documents visés par l’article 54 du CGI et des données correspondantes. Par application combinée des dispositions des articles L.102 B du LPF et 54 du CGI, si l’original de chaque document obligatoire a été établi par un procédé informatique, ces documents doivent être conservés et présentés sur un support informatique. Pour respecter l’obligation de présentation, un procédé de visualisation de type « PDF» doit permettre d’effectuer des recherches et des éditions.
Valeur probante de la comptabilité : critère de sécurité
Insuffisance de bénéfice brut calculé à partir des données de la comptabilité
Même si elle est régulière en la forme, et appuyée de justifications apparemment suffisantes, une comptabilité peut-être rejetée pour défaut de valeur probante lorsque des présomptions précises et concordantes permettent d’ en contester la sincérité et de soutenir que le bénéfice déclaré est inférieure au bénéfice brut effectivement réalisé.
Un critère insuffisant pour caractériser le rejet de comptabilité
La seule insuffisance du taux de bénéfice brut par rapport soit au taux au moyen dans la branche considérée, soit aux taux constatés dans des entreprises similaires, si elle constitue une indication importante et propre à justifier un examen approprié ne peut-être considérée comme un motif suffisant de rejet de comptabilité lorsque celle-ci a par ailleurs une valeur probante. En effet, il est possible que les conditions de fonctionnement de l’entreprise vérifiée comportent des particularités de nature à expliquer les écarts constatés.
Dans un contentieux, ou les rehaussements de TVA avaient été déterminés conformément à l’avis de la commission départementale des impôts directs et taxes sur le chiffre d’affaires, il revenait au contribuable, qui exploitait un fond de commerce de coiffure pour dames, d’apporter la preuve de l’exagération des bases d’imposition. La comptabilité de l’exploitante étant régulière en la forme, l’administration justifiait le défaut de sincérité par les faits suivants :
- Variation de la marge brute sur la période vérifiée
- Défaut de concordance entre les shampoings utilisés et la clientèle servie
- Faible importance des prélèvements de caisse
- Insuffisance des bénéfices déclarés par rapport à l’activité exercée et par rapport aux moyens mis en oeuvre
La contribuable a obtenu décharge de ces impositions supplémentaires en justifiant un a un les points évoqués. Concernant le dernier point, le conseil d’État a rappelé que « la circonstance que la comptabilité aurait dégagé un taux de bénéfice moins élevé que le taux moyen dégage par des commerces comparables, laquelle est, au demeurant, explicable par le fait que la requérante commençait son activité professionnelle, ne saurait à elle seule, être retenue pour écarter une comptabilité régulière en la forme ; que par suite, la requérante doit être regardée comme apportant, par ses écritures comptables, la preuve qui lui incombe de l’exagération des bases de l’imposition contestée.
Ainsi, la variation du taux de marge ou son insuffisance au regard de données sectorielles peut être un facteur déclencheur d’une procédure de vérification de comptabilité même si d’autres facteurs doivent venir s’y ajouter pour retirer à la comptabilité sa valeur probante. L’expert-comptable doit donc connaitre les ratios moyens des branches d’activités de ses clients pour mener à bien son analyse et anticiper les demandes de l’administration.
Les centres de gestion publient ces données. Même si elles ne tiennent compte que des résultats de leurs adhérents, principalement des exploitants individuels, elles permettent d’établir une tendance. Ces données sont actualisées chaque année et répertoriées en fonction du code activité de chaque adhérent. Les « analyses sectorielles TPE » publiées par l’Ordre des Experts-comptables présentent ces ratios en y ajoutant les chiffres clés dégagés par les sociétés commerciales du secteur d’activité concerné.
Nous mettons à disposition de notre clientèle certaine de ces analyses sectorielles au sein de nos sites internet spécialisés.
Obligation de reconstitution du bénéfice brut
En revanche, un rejet de comptabilité peut être valablement fondé sur le fait que le pourcentage de bénéfice brut, tel qu’il résulte de la comptabilité, est différent de celui obtenu en comparant systématiquement dans l’entreprise elle-même, les prix de vente des marchandises déterminées. Un dépouillement exhaustif des achats d’un exercice parait pouvoir être utilement opposé au contribuable si, après l’application d’une méthode complète et précise, il conduit à constater l’existence de discordances importantes de chiffre d’affaires.
Un contribuable, exerçant l’activité de négoce d’appareils d’électroménagers, ne peut se référer à sa comptabilité, jugée non régulière, pour apporter la preuve de l’exagération de l’évaluation de ses bases d’ imposition retenues par le vérificateur qui se basait sur un taux de bénéfice brut moyen de 35%. Ce dernier avait constaté, au cours des opérations de contrôle, que le taux de marge brute était, sur une année, supérieur de dix points à celui qui ressortait de la comptabilité et que l’évaluation des stocks, pour chacun des exercices vérifiés, était approximative. De ce fait, le contribuable ne peut se référer aux énonciations de sa comptabilité pour établir l’exagération des chiffres retenus par l’administration.
À contrario, l’administration ne doit pas écarter la comptabilité si la différence de bénéfice brut n’est pas suffisamment importante pour être significative.
Ainsi, le conseil d’État, dans une affaire concernant une entreprise gérant un restaurant, a estimé, contrairement à la thèse du service, que la comptabilité présentée, régulière en la forme, ne pouvait qu’être tenue pour sincère, en raison tant des incertitudes et de l’imprécision qui affectent la reconstitution d’un taux de bénéfice brut, que de la faiblesse de l’écart constaté en l’espèce entre le taux ressortant de la comptabilité et le taux théorique retenu par l’administration. Au cas particulier, ce dernier taux avait été reconstitué par comparaison entre le prix de certains menus et le montant des achats de produits utilisés pour leur confection.
Dans un autre arrêt, le conseil d’État a annulé le jugement du tribunal administratif qui avait maintenu les rehaussements d’impôts à l’encontre d’une société anonyme exploitant un fond de commerce de vente de chaussures. L’administration, qui reconnaissait que la comptabilité du contribuable était régulière en la forme, l’avait cependant écartée car les taux de bénéfice brut auraient anormalement variés d’un exercice sur l’autre, ne correspondaient pas aux chiffres reconstitués par le vérificateur à partir d’échantillons, et que, les bandes de caisses enregistreuses ne comportaient pour les articles soldes, que l’ indication de leur prix de vente et non, en out re, celle de leur prix d’achat. Le conseil d’état a jugé que le taux théorique de marge brute résultant des sondages, même s’il était supérieur aux taux découlant de la comptabilité, ainsi que le niveau de ces derniers, ne suffisait pas à priver la comptabilité de sa valeur probante et que les bandes de caisses enregistreuses comportaient les indications suffisantes pour permettre au service d’exercer son contrôle sur les conditions de revente des articles soldes.